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Copycat

   COPYCAT est un système de raisonnement original essayant d'imiter le fonctionnement du cerveau humain à un niveau supérieur à celui des réseaux de neurones. Ses auteurs, Melanie MITCHELL et Douglas HOFSTADTER [Hofstadter et Mitchell1992, Hofstadter et Group1995] proposent une nouvelle manière d'appréhender l'analogie, et aussi une alternative aux systèmes déterministes. Cette section présente COPYCAT et les idées de ses auteurs.

Les différents modèles nécessaires au « raisonnement » informatique sont soit localisés, soit distribués. Les modèles localisés  (tels que les réseaux sémantiques) sont capables de fournir des inférences sur leurs connaissances, alors que les modèles distribués  (tels que les réseaux de neurones) en sont moins capables, bien qu'ils aient des facilités d'apprentissage (surtout d'imitation d'un comportement). COPYCAT offre une alternative mariant les avantages des deux types de modèles. Il est capable de traiter des entités plus générales et plus abstraites que celles, à l'échelle du neurone, des modèles distribués connus, ce qui est indispensable pour faire de l'analogie et du « glissement conceptuel ». Ces notions seront explicitées dans la suite du texte.

Comment comprend-on et se représente-t-on une situation donnée? Voilà la question que se sont posée les auteurs. Comment sommes-nous guidés par une multitude de perceptions initialement non connectées de situations ou d'entités comme « une tasse de café », « la lettre A », « le style de Bach », ou « le Vietnam d'Amérique Centrale »? Comment ces représentations sont-elles structurées pour être souples, et donc adaptables à différentes situations?

MITCHELL ([Hofstadter et Mitchell1992, Mitchell1993]) soutient la thèse que l'analogie  réside au cœur de tels processus de compréhension, et que l'analogie est elle-même un processus de perception de haut niveau. Ici, la « perception de haut niveau » signifie la reconnaissance d'objets, de situations, ou d'événements à différents niveaux d'abstraction plus élevés que ceux de sensations syntaxiques liées à des sens particuliers ; elle doit être distinguée de mécanismes spécifiques tels que ceux de la vision à bas niveau. Une autre appellation serait « reconnaissance abstraite », en référence aux mécanismes de reconnaissance que nous utilisons quand, par exemple, nous lisons un article de journal sur des fonctionnaires qui détruisent des documents, mentent au Congrès, et que nous caractérisons ces événements comme « un autre Watergate ».

Le système COPYCAT essaye d'implanter un mécanisme d'analogie, dans lequel une fluidité conceptuelle du genre décrit ci-dessus émerge d'interactions complexes et subconscientes entre la perception et les concepts. Ce projet a été conçu par Douglas HOFSTADTER [Hofstadter1984, Hofstadter1985] en continuation d'un programme de recherche en science cognitive, dont le but à long terme est la compréhension des mécanismes sous-tendant la flexibilité des concepts : leur nature associative, enchevêtrée, leurs frontières floues, leur pertinence dynamique et variable (plutôt que statique et tout-ou-rien), leur souplesse en tant que fonction du contexte --en un mot, leur adaptabilité aux différentes situations. Une telle adaptabilité est propre à la pensée humaine, et son origine n'est pas bien comprise.

HOFSTADTER et son groupe de recherche y ont travaillé des années durant et dans des domaines variés, incluant la reconnaissance des formes, les analogies, l'humour [Hofstadter et Gabora1990], la traduction [French et Henry1988], la création et la reconnaissance de différents styles dans des domaines tels que les polices de caractères [Hofstadter et McGraw1993], la musique et les arts [Hofstadter1987]. Il est frappant de constater que quelques-uns des mécanismes mentaux mis en œuvre semblent être communs à ces activités mentales apparemment disparates. En particulier, le phénomène de glissement conceptuel  leur est central à toutes. Lors d'un tel phénomène, sous la pression, certains concepts de la représentation mentale ne sont pas fixes mais peuvent « glisser » -- c'est-à-dire être remplacés par des concepts proches en réponse à différentes sortes de pressions impliquées par la situation considérée.

Dans ce système, un concept  consiste en une région centrale entourée par un halo de concepts associés qui représentent des glissements potentiels. Par exemple, mari est dans le halo de femme, et dans quelques situations, la description femme peut glisser vers la description mari. C'est-à-dire que dans une situation donnée, mari peut jouer le rôle que femme aurait joué dans une autre situation. Le halo des glissements potentiels change en fonction du contexte : un glissement particulier n'est possible qu'en présence d'une certaine pression.

Ces glissements conceptuels existent dans la vie courante, et il est possible d'en détecter certains lorsque nous faisons des erreurs, comme le lapsus (« Veux-tu accrocher la fenêtre -- Euh... Je voulais dire le miroir. »), les erreurs dans des actions (chercher le mot « février » à la lettre B du dictionnaire, parce que février, comme B, est le second d'une série).

On peut dire qu'une analogie est une sorte de perception des ressemblances entre des choses différentes, et peut permettre de pousser des concepts à glisser vers d'autres concepts proches. Le mot « analogie » a diverses significations, mais quand on prend ce terme au sens large, il inclut tous les types de comparaisons (« cet objet est comme cet objet », ou « cette situation ressemble à cette situation »), il est présent à tous les niveaux de la pensée, des catégorisations les plus communes et terre-à-terre jusqu'aux plus rares des découvertes et des créations. Beaucoup de chercheurs hésiteraient à dire que la catégorisation est une sorte d'analogie ; pourtant, il est difficile de définir une frontière nette entre les deux. Le fait est que les mécanismes sous-tendant ces activités mentales sont, sinon les mêmes, au moins très proches les uns des autres.

Voici quelques exemples d'analogies, extraits de [Mitchell1993] :

 

Les membres du projet COPYCAT avaient pour ambition d'extraire et d'isoler quelques unes des capacités mentales mises en évidence dans ces exemples, et de proposer des idées sur les mécanismes mentaux sous-jacents. Cette proposition prend la forme d'un système informatique qui fait des analogies dans un micro-domaine contenant plusieurs de ces problèmes sous une forme idéalisée.

Les exemples ci-dessus donnent une idée de l'omniprésence et de la portée de l'analogie dans le raisonnement humain.  La capacité humaine à faire des analogies est bien plus qu'un simple outil à utiliser dans le domaine de la résolution de problèmes, ou qu'une pièce d'un « moteur de raisonnement ». C'est un mécanisme central de cognition, qui imprègne la pensée à tous les niveaux, aussi bien conscients qu'inconscients, et ne peut être mis en route ou arrêté à volonté. Cette vision est d'ailleurs complétée par les travaux de Lakoff et Johnson [Lakoff et Johnson1980, Lakoff1987], qui affirment, à grand renfort de métaphores linguistiques, que nous comprenons tous les concepts abstraits et complexes -- comme l'« amour » -- grâce à des analogies avec des expériences perceptuelles plus directes.

Dans COPYCAT, les auteurs s'intéressent à la dynamique d'activation et d'association des concepts comme symboles actifs  dans le cerveau, plus qu'à des notions de catégorie de concepts comme dans les études psychologiques. Le but particulier de COPYCAT est de développer des idées venant des projets précédemment menés par ses auteurs, en construisant un modèle des interactions entre la perception et les concepts pour engendrer des glissements conceptuels appropriés (et quelquefois créatifs) dans le domaine de l'analogie, domaine dans lequel la nécessité de construire des représentations mentales fluides et adaptatives est particulièrement visible.


L'application développée pour tester cette architecture est une application-jouet sans pour autant être simpliste. Le programme COPYCAT interprète et fait des analogies entre des situations dans un micro-domaine idéal traitant de problèmes d'analogies entre chaînes de lettres.  L'architecture du programme rassemble beaucoup d'idées, incluant :



 
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François Parmentier
6/19/1998